Braquage

Illustration de Clément Gouley

Texte dit par Stéphanie Lebeau

L’ensemble est cohérent: même lieu, même temps, même action, aussi bien ficelé qu’une scène de film.

Deux passages m’ont frappée: la femme qu’on dénude et le traitement réservé à l’enfant. Ce qui m’ a semblé fort, c’est la différence entre la femme habillée et la femme dénudée. Tout d’abord elle porte une robe qui ne laisse voir que le haut du corps. Elle est à la fois moulée par la soie épaisse et dissimulée par elle. Son corps est une charpente qui soutient et met en valeur le vêtement.

Un vêtement, quand il est seyant, évoque plus qu’il ne montre. Il marque la naissance d’une courbe, en suggère la suite, il crée un objet de désir. C’est ce qui se passe ici et la couleur de la robe vient encore rajouter à la séduction.

Le contraste avec le corps dénudé est saisissant. Au début je me suis dit : la nudité renvoie à l’état de nature. Cette femme appartient à une classe sociale élevée, elle peut se payer des vêtements de marque qui lui donnent élégance et distinction, mais sans eux elle est comme tout le monde, elle est même plus nue que certaines avec sa peau très pâle où se dessinent des veines bien visibles. Ce n’est qu’un juste retour des choses, la preuve que la beauté peut être fabriquée et qu’au final nous sommes toutes à égalité.

Mais il y a tout de même dans la vision de cette chair meurtrie quelque chose de plus fort que ça. La femme n’est pas seulement dépouillée de son vêtement, elle est écorchée. Devant son enfant elle n’est plus la déesse du début, elle n’est plus cette statue magnifique, elle est un être de chair et d’os, même pas une poupée de chiffon qu’on malmène, mais un corps qu’on violente. Elle n’est plus personne, ni une mère ni une amante, juste ce corps recroquevillé que la peau fragile ne parvient pas à protéger.

A côté de ça la menace de la femme au nez d’enclume est dérisoire, aussi loufoque et risible qu’un gag de Tex Avery. Non la violence n’est pas dans les coups, elle est dans les blessures intérieures, dans les blessures d’images, celle que l’on a de soi, celle qui s’infiltre dans les cerveaux et dans les cœurs.

C’est aussi l’idée que l’on retrouve dans le traitement réservé à l’enfant, traitement qui évoque une scène d’ « Orange mécanique » où le héros, attaché sur un siège, les paupières maintenues ouvertes, est forcé de regarder des images. Dans les deux cas, le spectateur est captif et les images projetées sur écran se révèlent un moyen de conditionnement très efficace. Cependant, même s’ils portent tous deux sur le thème de la violence, les objectifs sont diamétralement opposés: dans le film de Stanley Kubrick, le but est de rendre toute violence insupportable, ici de lui donner une allure inoffensive qui amène à l’accepter sans réagir.